C'EST DANS LA TÊTE
PRÉPARATION MENTALE DANS LE SPORT DE HAUT NIVEAU
Les sportifs de haut niveau sont des sur-humains, des dieux marqués d'anneaux olympiques. Mais ce sont d'abord des êtres composés comme chacun d'entre nous de plusieurs litres d'eau, d'un peu de chair et de beaucoup d'émotions. Faisant l'expérience des hauts et des bas de l'existence humaine chaque jour, excepté qu'ils ne mangent pas de chocolat à Noël. Ce que le public connait d'eux, ce sont les images glorieuses des exploits. Mais derrière un sourire perché sur un podium, il y a des jours de souffrance. L'excellence demande un entrainement intensif strict, que tous les athlètes savent appliquer. Les plus grands sportifs se rejoignent à un tel niveau de perfectionnement que les adversaires ont pratiquement les mêmes schémas de travail physique et les performances sont similaires. Ils leur faut travailler une autre facette d'eux-mêmes. "Quand il y a une finale olympique, il y a huit nageurs, les huit sont super bien préparés physiquement, stratégiquement, ils ont tous de la force, ils ont tous une technique excellente. Mais souvent, celui qui gagne, c'est celui qui est le mieux préparé mentalement", c'est l'idée que Frédéric Vergnoux, entraineur de l'équipe d'Espagne de natation utilise souvent pour expliquer l'importance du mental. Pour atteindre les sommets, les sportifs se tournent vers la préparation mentale. Ils apprennent à façonner leur cerveau comme l'on sculpte un muscle.
Les distinctions que l'on fait entre le corps et l'esprit, à tort. Francis Distinguin, en charge du haut niveau au Centre National d'Entrainement en Altitude (CNEA) de Font-Romeu et Clément Florac, équipe de France de Short-track (patinage de vitesse).
L'OBSESSION DE LA PERFORMANCE
TECHNOLOGIE DE HAUT NIVEAU
Le sport de haut niveau, c'est la course à la performance. Il faut être le meilleur, être le plus rapide, sauter le plus haut, lancer le plus loin. Pour ce faire, les méthodes de préparation doivent être les meilleures aussi. Elles se transforment chaque jour au rythme de nouvelles découvertes, notamment technologiques. Dans l'entrainement sportif actuel, l'informatique occupe une grande place. Avec une machine, tout est facilité, tout est automatisé et tout est optimisé. Aujourd'hui, tous les coureurs de tous les niveaux veulent une montre connectée analysant chacune de leurs foulées. Cet exemple est applicable à tous les sports suivant les avancées. En natation, à plus haut niveau, des capteurs calculent en temps réel l'évolution des mètres parcourus et les temps à réaliser sur les longueurs suivantes, les données sont très précises, très strictes. "Le problème n'est pas d'être en possession de ces données, au contraire, elles sont cruciales en préparation. Le problème, c'est de ne pas les interpréter, de les laisser décider", explique Francis Distinguin.
Beaucoup d'athlètes et d'entraineurs ont tendance à s'appuyer sur ces bases de données parce que ça les rassure. Ça leur évite des questions, mais aussi d'associer une intelligence à la performance humaine."
SCIENCE VERSUS HUMAIN
Ces précieux outils technologiques ont pourtant des limites. Ils ne peuvent pas ressentir si l'athlète à l'entrainement a passé une bonne ou une mauvaise nuit, ils ne peuvent pas ressentir s'il est triste ou heureux. Les émotions sont des facteurs qui ont une réelle influence sur les performances physiques. En exemple simple, lorsque l'on est triste, on est fatigué ou comme vidé d'énergie. Pour représenter cela, des chercheurs Finlandais ont réalisé ce qu'ils ont nommé la Carte des émotions, qui représente les manifestations corporelles en fonction des émotions ressenties, en indiquant dans les tons chauds les zones du corps dont l'activité augmente et les tons froids les zones dont l'activité baisse.
EXIGENCES
Un athlète est un individu à part entière. Un individu est tout être concret ayant une existence propre, possédant une unité de caractères et formant un tout reconnaissable. Un individu est un ensemble indissociable, chaque élément le composant constitue une corrélation entre ses caractères. Une corrélation est une relation entre deux notions dont l'une ne peut être pensée sans l'autre, entre deux faits liés par une dépendance nécessaire. Il est donc impensable de réfléchir le mental sans réfléchir le corps et inversement.
"Toute action moteur est à l'origine une commande du mental" rappelle Nicolas Bourrel, en charge du haut niveau et de la préparation physique au CNEA. Le cerveau est à l'origine de tout ce que nous faisons. Il est pour cela impératif que l'athlète soit "en phase" avec l'effort qu'il réalise, qu'il y mette la bonne "intention", comme le définit Nicolas. Mais pour les sportifs, ce n'est pas toujours évident de gérer son esprit et ses émotions. En effet, comme l'explique Christophe Alamandovic, préparateur mental de l'équipe de France de Short-Track, les sportifs de haut niveau ont souvent appris à refouler leurs émotions, pour ne pas en être débordé dans les moments cruciaux, plutôt qu'à les contrôler. Il est très difficile d'apprendre à les contrôler et à les utiliser, mais Christophe affirme que la force de ces émotions, canalisée, peut être un atout décisif.
LA VICTOIRE DE LA SOUFFRANCE
SOUFFRIR AU QUOTIDIEN
Le quotidien d'un sportif de haut niveau, c'est de respirer entrainement, manger entrainement, dormir entrainement, vivre entrainement. Un pas hors de la lancée peut être impardonnable à toute une préparation, à des mois de travail. Le mode de vie d'un sportif est très strict. Comme l'explique Francis Distinguin avec insistance, "pour endurer les volumes d'entrainements physiquement accablants, les athlètes doivent impérativement savoir pourquoi ils font ce qu'ils font et pourquoi ils en sont là où ils en sont". Ils doivent avoir un but qui vient constituer ce que l'on appelle un "projet". Ne pas réaliser de réflexion sur son projet en amont peut-être nuisible pour une carrière sportive. À tout moment, l'athlète peut développer des doutes, des appréhensions, qui peuvent mener dans le pire des cas à une réelle intolérance à l'entrainement. Donner du sens à ce que l'on fait est essentiel et d'autant plus quand cela demande une capacité à encaisser de très lourdes charges de travail physique et psychologique.
Dans un autre sens, la vie d'un sportif n'est pas la plus difficile qui soit. Relativiser sur leur pratique et sur la rudesse de leur mode de vie est fondamental à leur évolution en tant que sportif accompli. C'est ce qu'explique Frédéric Vergnoux, entraineur de l'équipe d'Espagne de natation.
L'ANGOISSE DE LA BLESSURE ET DE L'ISOLEMENT
Il est compliqué de gérer les blessures et les maladies dans le sport de haut niveau. Ce n'est pas un métier dans lequel un arrêt maladie est synonyme de journée de bonheur dans le canapé. Chaque jour durant lequel l'athlète ne s'entraine pas peut le priver de beaucoup. Mais parfois il n'y a pas de choix. Si l'athlète est physiquement inapte à s'entrainer, il doit prendre du repos. Mais gérer une période d'isolement par rapport à son quotidien, cela peut être déstabilisant. Les sportifs ont souvent un rythme de vie auquel ils sont habitués, à des visages auxquels ils sont habitués, un bouleversement dans ces habitudes peut les faire sortir des rails. Nicolas Bourrel affirme que dans les sports dans lesquels les entrainements se font en équipe, le groupe est très important, isoler un athlète peut avoir de lourdes conséquences.
En effet, le groupe est aussi un facteur important dans le mental des sportifs. Mais contrairement à ce que l'on pourrait penser, il n'y a pas que dans les sports collectifs que les athlètes se reposent les uns sur les autres. Dans les sports individuels comme la natation ou l'athlétisme par exemple, l'effet de groupe est puissant. C'est une réelle dynamique dans laquelle ils se complaisent. Clément Florac nous raconte l'effet de groupe de l'équipe de France de Short-Track.
Et au contraire, quand un sportif se retrouve isolé du groupe dans lequel il évoluait à cause d'une blessure, il se trouve dans une position de faiblesse profonde. Cet état d'esprit peut largement le décourager, voire le détruire et c'est souvent dans ce type de situation que l'on trouve les sportifs faisant face, dans les situations les plus extrêmes, à différentes formes de dépression.
J'ai toujours rêvé d'être un super-héros et je trouve que le plus intéressant, c'est de devenir un humain." - Raphaël Poulain
En cliquant sur ce lien, vous pourrez visionner une conférence TED animée par Raphaël Poulain, ex-rugbyman au Stade Français de Paris. Après des blessures à répétitions qui l'avaient éloigné de la sphère dans laquelle il avait évolué et s'était crée des repères, Raphaël est tombé dans le cercle vicieux de la dépression. Il revient avec un sage recul sur son parcours et ses erreurs.
UNE VIE DE SACRIFICES
Être sportif de haut niveau, c'est renoncer à beaucoup de choses. C'est renoncer à sa jeunesse, renoncer à la vie de famille, renoncer aux sorties du samedi soir, renoncer à la perspective d'une vie "normale", calme et stable. Mais le fait de renoncer à tout cela est un choix conscient. C'est un investissement. C'est miser sur le fait de se priver de bons moments pour aboutir à un quotidien hors du commun, d'euphories et d'exaltations que l'on ne se forge pas dans le quotidien standard que l'on a laissé s'effacer. La limite est fine entre les choix faits de plein gré et les choix faits par nécessité. Qu'est-ce qu'un choix et qu'est-ce qu'un sacrifice ? Ludovic Mathieu, entraineur de l'équipe de France de Short-Track, nous l'explique.
MUSCLER SON ESPRIT
PSYCHOLOGIE DE LA PERFORMANCE
La préparation mentale est devenue le must-do dans les sphères de haut niveau. Tous les sportifs vous le diront, en compétition, celui qui gagne, c'est celui qui est le mieux préparé mentalement. Préparé mentalement, cela veut pourtant dire beaucoup de choses. C'est ce que l'on va appeler "être présent" à l'action que l'on est en train de réaliser, c'est à dire être concentré. Pour être concentré, il faut trouver l'équilibre parfait entre fermer son esprit aux turbulences extérieures et le maintenir suffisamment entrouvert pour ne pas risquer de réagir, au lieu d'agir. Ces équilibres ne sont pas donnés à tout le monde de maitriser. C'est pour cela que l'entrainement mental doit commencer jeune. Et cette démarche a été prouvée efficace, avec Teddy Riner par exemple, qui suit une préparation mentale assidue depuis ses quatorze ans et est aujourd'hui capable de se maitriser de manière admirable sur le tatami. Mais les techniques de préparation mentale évoluent avec le temps et un individu peut difficilement clamer être capable de maitriser pleinement son mental, pleinement son corps, de se maitriser pleinement. Chaque athlète a ses petits secrets pour être présent mentalement pendant une compétition ou un évènement important. "Il y en a qui ont besoin de la présence de leur famille par exemple, comme Roger Federer", rapporte Francis Distinguin.
Cependant, être présent et conscient pendant une action demande une telle maitrise mentale que les limites entre la concentration et ce que l'on peut qualifier de "prise de tête" est mince. C'est ce que nous explique Clément Florac.
MÉTHODES ET TECHNIQUES
La préparation mentale dans le sport utilise de nombreuses techniques différentes qui tendent toutes à améliorer les capacités psychologiques et physiques d'un sujet. Les méthodes les plus répandues sont la méditation et la sophrologie.
La méditation est l'action de méditer, de penser avec une grande concentration d'esprit pour approfondir sa réflexion. Du latin Meditari dont le sens propre est "s'exercer au physique et au moral", signifie "préparer quelque chose par une longue réflexion, projet". Dans le bouddhisme, la méditation correspond à une pratique posturale, mentale et relaxante. Il existe deux classes de pratiques. Shamatha (calme), qui développe la capacité de focaliser l'attention en un seul point et Vipassana (vision), qui développe la perspicacité et la sagesse en voyant la vraie nature de la réalité. Le but est d'instaurer le calme dans son esprit (shamatha) pour pouvoir ensuite développer une vision "plus vraie" de ses ressentis et de la réalité. L'idée est de focaliser le mental sur un ressenti.
La méditation se base sur la "pleine conscience". Elle consiste à porter intentionnellement attention aux expériences internes (sensations, émotions, pensées, états d'esprit) ou externes du moment présent, sans porter de jugement de valeur. La pleine conscience peut désigner une disposition à être attentif au moment présent. Une étude menée par des médecins sur les effets de la méditation a prouvé à l'aide de scanner cérébraux au repos avant et après le programme une augmentation de la connectivité du réseau cérébral au repos dans des aires importantes pour l'attention et le contrôle exécutif (le contrôle du comportement), à savoir dans le cortex préfrontal-dorsolatéral. Les participants au programme de méditation de pleine conscience ont aussi été soumis à des prises de sang et une réduction de leur taux d'interleukine-6 (bio-marqueur de l'inflammation) a été notée. L'étude a été publiée sur le Biological Psychiatry Journal.
Le sophrologie est un terme créé par Alfonso Caycedo, médecin neuropsychiatre pour désigner l'étude de la conscience harmonieuse et la conquête de l'équilibre corps-esprit, par la répétition de techniques psychocorporelles. Le nom sophrologie vient de trois termes grecs : -sos : exempt de maladies, équilibre, harmonie, -phren : diaphragme, âme affective et par extension, esprit, conscience et -logos : science, étude, discours. La sophrologie est une technique de relaxation basée sur des exercices de respiration et de gestion de la pensée. C'est une technique de relaxation qui plonge le sujet dans un état de semi-conscience qui lui permet de se concentrer sur un besoin. Les quatre grands principes de la sophrologie sont la respiration, la détente physique et psychique, la visualisation et la pensée. Mais d'après Clément Florac, la sophrologie, ce n'est pas évident à maitriser.
Le but c'est de rester dans un état un peu second, comme juste avant de s'endormir, on entend toujours ce qu'il se passe autour de nous mais c'est comme si on était loin. C'est très dur de rester dans cet état, des fois on ne tient pas et on s'endort. C'est marrant, t'es concentré et puis d'un coup tu entends quelqu'un ronfler."
La sophrologie présente plusieurs intérêts pour le sportif qui doit accomplir des actions et des gestes très précis dans des conditions stressantes. D'un autre coté, le sportif a besoin d'un certain niveau de stress pour performer. L'idéal sera donc un stress maximal positif (ou eustress) sans basculer dans l'excès (surstress). La pratique régulière de la sophrologie permet cette gestion du stress. Tout d'abord en l'étudiant pour le connaître et le reconnaître puis en le redirigeant pour ne plus le subir et l'utiliser à bon escient. La courbe d'utilité de la réaction de stress de Yerkes et Dodson (1906), ci-contre, illustre ce principe.
TOUS PRÉPARATEURS
UNE PRÉPARATION DE CHAQUE INSTANT
Le constat a été fait que tous les acteurs du projet d'un athlète, c'est à dire que ce soit le kinésithérapeute, le nutritionniste, l'entraineur, le médecin, ont un impact sur son mental. En fait, ils sont tous préparateurs mentaux, dans le sens où chaque action, chaque mot, à l'égard du sportif par n'importe quelle personne de son entourage, peut influer sur son état mental. On parle ici de relations simplement humaines, de communication, de contacts physiques et visuels. Il est alors impératif que les acteurs oscillants autour d'un athlète soient très attentifs à l'attitude arborée et aux mots choisis en leur présence. Même si l'athlète doit pouvoir faire la différence entre le ressenti d'autrui et le ressenti qui lui est propre, l'humain est une éponge à humeurs, s'il se trouve en présence d'une personne triste, il ressentira possiblement de la tristesse. Dans la vie de tous les jours, on parle "d'ondes positives" ou "d'ondes négatives" dégagées par une personne. Dans le domaine de la science, on appelle cela la "contagion émotionnelle", plus connue sous le nom d'empathie.
N'oublions pas que les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies et qu'à celles-là nous y obéissons sans le savoir." - Vincent Van Gogh
La mécanique de l'empathie est expliquée par la "contagion" des émotions au travers d'un mimétisme moteur consistant en une imitation posturale et faciale automatique qui, en fournissant une information de nature kinesthésique, permet la reproduction et la compréhension des états émotionnels de la personne observée. Les données neurophysiologiques les plus récentes ont confirmé l'existence d'automatismes moteurs et mentaux dans les processus d'interactions sociales. Des "neurones miroirs" suscitant chez un observateur une activation des circuits moteurs correspondant aux mouvements qu'il peut observer chez un congénère ont été mis en évidence. Si vous voulez en savoir plus, le sujet est traité en détails dans un article du Cairn.info.
Les émotions ont été étudiées par Robert Plutchik, qui a crée la Roue des émotions. Elle définit un modèle des émotions humaines et de leur relations et combinaisons. Il est composé de 8 émotions de base (joie, attirance, peur, surprise, tristesse, dégoût, colère et anticipation), opposées deux à deux, et de multiples nuances. Ci-dessous, le tableau met en forme les différentes émotions et leurs relations.
AUTO-COACHING
La préparation mentale d'un athlète, elle vient des autres, mais elle vient d'abord de lui-même, de sa propre volonté. Paul-César Distinguin est surfeur professionnel, il est sur les séries de qualification du World Tour. Il y a cinq ans, il a fait appel à un préparateur mental parce qu'il n'arrivait pas à passer outre un certain blocage par ses propres moyens. Son problème, c'était utiliser les priorités sur ses adversaires. Dans ses mots, il avait peur de "passer pour l'enfoiré". Sauf que ces priorités représentaient des opportunités manquées et résultaient trop souvent en défaite.
Problème réglé, aujourd'hui, il ne travaille plus avec un préparateur mental. Mais pour continuer sur une bonne lancée et rester un bon compétiteur, il a développé des techniques pour s'auto-coacher mentalement, qu'il nous explique.
CONCLUSION
Pour ce reportage, je voulais rencontrer des sportifs qui sont aussi des humains. J'ai en fait rencontré des humains qui sont aussi des sportifs. La préparation mentale apprend tout simplement à se réfléchir, à se penser. Cela parait facile, mais réfléchir sur soi-même est périlleux. La préparation mentale apprend aux sportifs à admettre qu'ils peuvent être faibles, qu'ils peuvent être tristes, qu'ils peuvent être humains. Mais qu'être humain ne signifie pas perdre. Chaque ressenti, chaque émotion, positive ou négative, peut être dirigée et utilisée et les mener vers la victoire.